Les mécanismes des troubles anxieux

26.12.2024

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Fabien Dézèque
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1 - La peur et l’anxiété ça ne sert à rien ?

Si vous vivez quotidiennement avec un trouble panique ou de l’agoraphobie, vous devez commencer à sérieusement douter que la peur et l’anxiété puissent servir à autre chose qu’à vous rendre la vie impossible. 

Et pourtant l’anxiété et la peur sont des réactions normales qui nous permettent d’éviter les dangers, présents ou futurs, qui peuvent nous menacer. La peur en particulier nous préserve en déclenchant trois comportements essentiels : fuir, s’immobiliser ou combattre (faire face). 

Les trois réponses de la peur : fuir, s'immobiliser, combattre


Sans ces comportements nous aurions probablement déjà disparu, incapables de réagir correctement aux menaces de notre environnement. Pour s’en convaincre, regardons les comportements des personnes qui pour des raisons génétiques ou accidentelles sont incapables de ressentir de la peur. 

Dans un article de 2011, le chercheur Feinstein et ses collègues relatent le cas très rare d’une patiente nommée SM (deux initiales pour préserver son anonymat). A cause de lésions bilatérales de l'amygdale (une région du cerveau impliquée dans la peur et la détection des menaces), SM montre une absence quasi-totale de peur. Pendant trois mois les chercheurs l’ont soumise à de multiples expériences destinées à provoquer de la peur et de l’anxiété : sans succès.

Dans l’une de ces expériences, les chercheurs ont accompagné SM dans une ménagerie d’animaux exotiques. Avant d’arriver au magasin, SM prévient les chercheurs qu’elle déteste les serpents et les araignées et essaye de s’en tenir le plus loin possible. 

Mais en arrivant au magasin, le comportement de SM change radicalement. Acceptant la proposition d’un employé, elle se précipite pour prendre un serpent dans ses mains (voir l’image ci-dessous) en s’exclamant « C’est tellement cool ! ». Loin d’avoir peur, elle insiste à plusieurs reprises pour manipuler des serpents trop dangereux malgré les refus répétés de l’employé du magasin. Les chercheurs doivent même l'empêcher in extremis de toucher une tarentule qui aurait pu la mordre.

A. SM en train de manipuler un serpent à main nu, B. La tarentule que SM a tenté de toucher

2 - L’héritage de la peur: le biais de négativité

Il y a deux grandes conclusions que l’on peut tirer de l’histoire de SM. La première, c’est que la peur et l’anxiété garantissent notre sécurité. Si personne n’avait été là pour empêcher SM de toucher les animaux dangereux, elle aurait pu être grièvement blessée ou tuée.

La deuxième est qu’il est important de rappeler que la biologie et la psychologie des êtres humains a été façonnée il y a des centaines de milliers d’années dans un environnement incomparable avec le monde moderne. Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs vivaient dans la nature sauvage où menaces et dangers sont omniprésents. Sans peur ni anxiété, ils n’auraient jamais pu échapper aux prédateurs, ni se préparer à l’avance pour survivre aux hivers et aux conditions de vie rudes.

En fait, ce n’est pas seulement qu’il est normal d’éprouver de la peur et de l’anxiété en tant qu’humain. Nous avons, en plus, un biais de négativité et le cerveau des personnes avec un trouble anxieux souffre d’une version extrême du biais de négativité. 

Il s’agit d’une tendance à repérer plus facilement et à se préoccuper en priorité des événements négatifs. Pour le dire simplement: nous avons naturellement plus tendance à éprouver de la peur et de l’anxiété que de la joie ou du calme.

Malheureusement dans un environnement contemporain, ce biais de négativité extrême constitue ce que les chercheurs Nesse et Williams (1994) appellent un « evolutionary mismatch » ou une inadéquation évolutive en français: lorsque des adaptations biologiques anciennes ne sont plus adaptées à l’environnement actuel.

Pour le comprendre, il faut s’intéresser aux travaux d’Haselton et Buss dans les années 2000 portant sur la théorie de la gestion de l’erreur. Cette théorie fait le constat suivant: dans un environnement dangereux comme celui de nos ancêtres, le coût de l’erreur est beaucoup plus élevé pour les événements négatifs que pour les événements positifs.

Cela peut paraître compliqué, mais c’est en vérité très simple en situation. Imaginez que vous êtes un homme ou une femme des cavernes qui a faim. En regardant au loin vous croyez discerner des tâches de couleur au niveau d’un arbre. A cause de la distance vous avez du mal à bien distinguer, mais vous savez qu’il y a deux possibilités: ces tâches de couleurs signalent soit des fruits appétissants, soit le pelage d’un prédateur qui dort dans les arbres et qui ferait volontiers de vous son goûter. Que faites-vous?

Pour répondre à cette question il faut considérer deux scénarios dans lesquels vous vous trompez: 

  1. Erreur 1: Vous décidez qu’il s’agit probablement du prédateur et vous ne vous approchez pas de l’arbre. Si vous avez tort et qu’il y avait des fruits, vous allez devoir continuer votre recherche pour de la nourriture avec le ventre vide.
  2. Erreur 2: Vous décidez qu’il s’agit probablement que de fruits et vous vous dirigez vers l’arbre. Si vous avez tort, le prédateur vous attaque et vous risquez de mourir.

Vous comprenez vite que les conséquences d’une erreur dans le scénario 1 est bien moindre que dans le scénario 2. Dans le premier cas vous devrez continuer de chercher de la nourriture le ventre vide alors que dans le deuxième vous risquez la mort, le game over définitif. L'évolution a donc naturellement favorisé les gens les plus prudents, c'est-à-dire ceux qui avaient plutôt tendance à assumer le pire et à facilement éprouver de la peur ou de l’anxiété.

Iriez-vous vous reposer au centre de ces rochers ? C'est à réfléchir...


Si vous êtes de ceux qui souffrent de troubles anxieux, vous êtes probablement les descendants de ceux parmi nos ancêtres qui avaient le plus tendance à ressentir de la peur et de l’anxiété. Pour simplifier, votre système de détection et d’évaluation des menaces souffre d’une forme extrême du biais de négativité.

Ironiquement, la sensibilité extrême aux menaces qui vous rend la vie impossible, vous la sauverait dans un environnement très dangereux comme celui de nos ancêtres. Et pas seulement vous, mais aussi vos amis et proches qui bénéficieraient de votre prudence.

Pour faire court: votre système de détection de la menace passe son temps à vous protéger de dangers mortels imaginaires. La peur et l’anxiété qui devraient vous protéger deviennent nuisibles.

La réalité du monde VERSUS ce que perçoit un système de la peur hyperactif

3 - D’où viennent les troubles anxieux ?

Vous l’avez compris, les troubles anxieux sont l'exact opposé du cas de SM et représentent une forme extrême du biais de négativité qu’ont en commun tous les êtres humains. Affecté par ces syndromes, votre système de la peur et de l’anxiété passe son temps à interpréter des situations inoffensives comme des menaces mortelles.

L’anxiété et la peur deviennent maladaptives (et insupportables) de part:

  • Leur intensité
  • Leur fréquence
  • Leur durée

Pas étonnant que vous viviez un enfer si vous êtes victimes de troubles anxieux. Pour les personnes qui font des crises de panique, les symptômes physiques (cœur qui bat la chamade, vertiges, hyperventilation et sensation d’étouffement, transpiration, douleur à la poitrine, sensation de perte de contrôle, etc…) qui les accompagnent sont si violents qu’ils deviennent eux-mêmes une source de peur et d’anxiété.

Mais qu’est-ce qui pousse un cerveau à percevoir des situations bénignes comme faire la queue, être seul.e dans un parking ou prendre les transports publics (pour n’en citer que quelques-unes) comme des menaces mortelles ? Voici quelques mécanismes proposés par le chercheur Ledoux dans son livre Anxious (2015) :

  1. L’hypervigilance : c’est-à-dire une sensibilité accrue à la détection des menaces. Le trouble panique - par exemple - a tendance à rendre extrêmement attentif à toutes les sensations corporelles qui ressemblent à celles d’une crise de panique. Cette hypervigilance crée un biais d’interprétation où les signes bénins sont perçus comme des menaces. Une amygdale hyperactive est souvent impliquée dans ces réponses exacerbées aux menaces. Cette focalisation sur les menaces peut aussi empêcher de prêter attention à d'autres facteurs qui, en temps normal, pourraient atténuer la réponse biaisée (par exemple le fait que la voiture qui vient vers vous est en train de ralentir et que vous êtes sur un passage piéton).
  2. Mauvaise capacité à distinguer la sécurité du danger : Chez les personnes en bonne santé, un ensemble de circuits cérébraux (impliquant l'amygdale, le PAG ou périaqueducal gris de son petit nom, le cortex préfrontal ventromédian et l'hippocampe), jouent un rôle dans la distinction entre menace et sécurité. Cette capacité est altérée chez les personnes souffrant de peur ou d'anxiété pathologique. Par exemple, dans le trouble panique, les personnes peuvent échouer à distinguer entre un contexte dangereux et un autre sûr en raison d'un dysfonctionnement de l'hippocampe. Une des conséquences de l'incapacité du cerveau à établir cette distinction est que les processus normaux qui réduisent d’habitude la valeur menaçante des situations fonctionnent moins bien.
  3. Évitement accru: L'évitement excessif au niveau du comportement (éviter les foules, quitter une foule) ou de la cognition (la pensée, fixer le sol pour éviter de penser à la foule autour de nous) est une caractéristique majeure des troubles anxieux. L'évitement est une stratégie pour prévenir l'exposition à une menace, mais dans les troubles anxieux, il devient si habituel que le cerveau n'a jamais l'occasion de déterminer si les conditions ont changé et si ce qui était autrefois nuisible ne l'est plus. Imaginez que pendant que vous vous changiez dans une cabine d’un magasin, le rideau mal fixé est tombé vous révélant à moitié nu. Depuis cette expérience malheureuse, vous évitez les cabines. En agissant ainsi vous envoyez - sans le réaliser - un message puissant à votre cerveau “cet endroit est dangereux”, car sinon pourquoi l’éviteriez-vous? 
  4. Plus grande sensibilité à l’incertitude de la menace: Les personnes souffrant d'anxiété éprouvent des difficultés à tolérer l'incertitude concernant les menaces. Vous hésitez par exemple à partir faire les magasins avec vos enfants un mercredi après-midi parce que vous ne savez pas s’il y aura du monde où non, vous qui avez une peur panique de la foule. Si vous êtes atteint de trouble anxieux, votre cerveau interprétera plus volontiers cette situation comme très menaçante à cause de l’incertitude. 
  5. Surestimation de la probabilité et de l’importance de la menace: Les personnes atteintes de troubles anxieux perçoivent les événements négatifs comme beaucoup plus susceptibles de se produire et anticipent des conséquences bien plus graves, comparées aux individus normaux. Ce phénomène, appelé biais de jugement, conduit à un stress d’anticipation lorsque tous les résultats négatifs sont envisagés, même les plus improbables. Reprenons notre exemple où vous hésitez à faire vos courses le mercredi après-midi, vous aurez tendance à surestimer les chances qu’il y ait du monde et les conséquences négatives si c’est le cas (ex: je vais m’évanouir devant mes enfants, ils vont croire que leur père est un incapable).
  6. Comportement et contrôle cognitif maladaptifs en présence de la menace: L’idée est qu’il est plus difficile d’avoir un bon contrôle sur ses comportements et ses pensées lorsque l'on est en présence d’une menace. Cela donne souvent lieu à des comportements sécurisants comme se cramponner à la rambarde d’un pont ou - au contraire - se tenir obstinément au centre si on a peur du vide ou à des pensées catastrophiques “si je m’approche du bord je vais tomber dans l’eau et mourir”. Tous les deux contribuent à renforcer l’idée que la menace est réelle.

Pour résumer :

La réponse à la question “d’où viennent mes troubles anxieux?“ est à la fois très complexe et très simple. 

Très simple parce que le problème central tient en une ligne: les systèmes de détection et d’évaluation de la menace exagèrent la menace représentée par certaines situations. Complexe parce qu’il y a plusieurs mécanismes qui peuvent contribuer à cet effet et qu’il faut réussir à trouver celui qui produit le plus d’effet chez vous.

Sources

LeDoux, J. (2015). Anxious: The modern mind in the age of anxiety. Simon and Schuster.

Feinstein, J. S., Adolphs, R., Damasio, A., & Tranel, D. (2011). The human amygdala and the induction and experience of fear. Current biology, 21(1), 34-38.

Haselton, M. G., & Buss, D. M. (2000). Error management theory: a new perspective on biases in cross-sex mind reading. Journal of personality and social psychology, 78(1), 81.

Nesse, R. M., & Williams, G. C. (2012). Why we get sick: The new science of Darwinian medicine. Vintage.

Rozin, P., Millman, L., & Nemeroff, C. (1986). Operation of the laws of sympathetic magic in disgust and other domains. Journal of personality and social psychology, 50(4), 703.